Déficit d’entreprises de taille intermédiaire et développement trop lent des PME
Il existe dans le paysage économique français un déficit particulièrement pro- noncé de PME employant de 20 à 499 salariés. Ce déficit est, ceteris paribus, de l’ordre de 40 % par rapport aux États-Unis1 (voir graphique ci-dessous).
Face au dynamisme de la création d’entreprises et à la profusion de TPE de moins de quatre salariés, l’existence d’une classe creuse au niveau des entreprises de taille moyenne indique davantage une difficulté à faire grandir les structures exis- tantes qu’à les faire naître.
Écart entre le nombre d’entreprises françaises et américaines par habitant de 15 à 64 ans, en 2001
Le système de production, très concentré au sommet au sein des grands groupes, se trouve extrêmement fragmenté à la base puisqu’il est constitué à 90 % d’en- treprises de moins de 10 salariés. Un phénomène qui se traduit par un excès d’immobilisations corporelles, une absence d’économies d’échelle et une faible rentabilité du capital.
Un véritable cercle vicieux puisque l’on constate que la taille réduite des entreprises et leur manque de marge de manœuvre financière empêchent justement nombre d’entre elles d’acquérir les compétences propres à stimuler… leur croissance.
Ce phénomène est d’autant plus regrettable que les PME sont plus réactives et plus innovantes que leurs « grandes » rivales et, donc, potentiellement au moins aussi aptes que ces dernières à conquérir de nouveaux marchés (c’est du moins ce que l’on constate dans des pays comme le Canada, l’Allemagne ou la Finlande). D’où l’importance de les aider à atteindre une « taille critique » afin de les rendre plus compétitives.
La « taille critique » des entreprises varie en fonction de leur nature. Il ne s’agit pas d’un concept comptable mais bien de la taille à partir de laquelle il est possible de financer le développement (embauche de spécialistes, recherche, achat de licences…) et d’acquérir des parts de marché significatives face aux géants d’un secteur.
Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 10 % des entreprises à forte croissance2 et de plus de 100 salariés seraient responsables de 54 % des créations d’emplois dans les pays membres3.
« La petite taille des entreprises françaises aurait donc une incidence non seulement sur le dynamisme de l’économie mais aussi sur la courbe du chômage »
La petite taille des entreprises françaises (5,1 salariés dans l’hexagone en moyenne contre le triple aux États-Unis)4 et la difficulté qu’éprouvent ces dernières à croître auraient donc une incidence non seule- ment sur le dynamisme de l’économie mais aussi sur la courbe du chômage. La comparaison des chiffres de l’emploi dans les entreprises de quatre pays de l’OCDE dont la France (voir graphique ci-dessous) est à ce titre éloquente : sept ans après leur émergence, les entreprises américaines ont plus que doublé leurs effectifs alors que les entreprises françaises n’ont créé, sur la même période, que 7 % d’emplois supplémentaires.
Progression de l’emploi dans les entreprises 7 ans après leur création
Le déficit de firmes de taille moyenne remet également en question la capacité du pays à se maintenir au sein des économies dites de la « connaissance » car ce sont précisément les entreprises de taille intermédiaire5 qui seraient à l’origine, selon Elie Cohen et Jean-Hervé Lorenzi, des principales percées scientifiques, technologiques ou commerciales.
L’accumulation de ces différents éléments tend à indiquer qu’en négligeant le développement des PME, les gouvernements successifs se sont privés d’un levier d’action décisif sur la vitalité de l’économie du pays et sur la réduction du chô- mage. Ces choix affectent l’économie aujourd’hui mais ils sont également susceptibles d’hypothéquer l’avenir dans la mesure où les effets des politiques publiques se répercutent sur plusieurs décennies.
Peu de Renouvellement du tissu économique, peu de “Champion” potentiels
Un regard attentif sur les marchés financiers témoigne également de la difficulté des PME françaises à grandir et à franchir les diverses étapes, les différents seuils de développement qui constituent le paysage des entreprises. En effet, contrairement aux États-Unis où plusieurs start-up se sont hissées en un quart de siècle jusqu’au som- met (Sun Microsystems, Dell computers, Compaq, Silicon Graphics, Google, etc.) aucune structure créée ex nihilo en France depuis 1960 – et dont l’expansion serait basée sur une forte croissance interne – ne figure aujourd’hui au CAC 40.6
Dans un rapport récent, le ministère du Commerce et de l’Industrie britannique (DTI) estime que sur 237 entreprises dans le monde qui entrent dans la catégorie des « géants en puissance », en fonction d’une série de critères prédéterminés (chiffre d’affaires, budget de recherche significatif…), les deux tiers se situeraient aux États-Unis, dont 67 dans les TIC, 39 dans la pharmacie-biotechnologie et 38 dans les logiciels. Face à ce rouleau compresseur de la high-tech américaine, les Européens font pâle figure : 12 champions potentiels pour les Anglais, 6 pour les Français, 5 pour les Suisses et 1 pour les Allemands.
De nombreux économistes, à l’instar d’Elie Cohen, expliquent la non-émergence de nouveaux champions par l’insuffisance de « destruction créatrice » dans notre pays. Cette analyse épouse la théorie schumpetérienne selon laquelle la croissance serait portée par un renouvellement constant des techniques : pour croître, une firme prendrait la place d’une rivale en offrant un produit plus innovant. Ce serait la création, la croissance puis la disparition d’entreprises et donc le « recyclage » et l’amélioration des technologies par de nouvelles entités, qui assureraient un renouvellement bienfaisant du tissu industriel.
En France, la domination du marché par les grands groupes empêche d’une certaine manière les PME, même très innovantes, d’émerger face aux poids lourds de leur secteur. Ce phénomène mécanique, qui défavorise les nouveaux entrants, est gommé dans certains pays par une politique volontariste en faveur des PME. C’est le cas aux États-Unis où la Small Business Administration encourage par tous les moyens le développement des PME au cours des premières phases de leur croissance, afin de leur permettre de « prendre le train en marche » et d’accéder, à armes égales cette fois, au marché de la concurrence.