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Quels sont les arguments microéconomiques en faveur de la R&D publique ?

Les raisons qui justifient une intervention de l’État, soit directement par des dépenses de R&D publique, soit indirectement (financement ou défiscalisation de la R&D privée) sont pour l’essentiel liées aux imperfections du marché.

La recherche est risquée

Il est bien connu (Arrow 1962) qu’en présence de risque, un marché concurrentiel n’amène pas toujours les agents à mettre en œuvre la quantité optimale de ressources. L’État peut alors pallier cette imperfection du marché en favorisant une dépense de R&D plus proche de l’optimum social, et donc supérieure à la quantité d’équilibre. Ces phénomènes de risque sont accrus par de possibles effets d’antisélection. La valeur du projet innovant est non seulement incertaine mais, de plus, l’investisseur externe a des difficultés spécifiques à trier les bons projets des mauvais, du fait de la complexité de l’activité scientifique. Ceci peut accroître le sous-investissement privé. Guellec (2000) suggère que ceci est un problème particulier pour les petites entreprises : dans la recherche, l’innovateur ne peut offrir un « collatéral » au créancier, qui lui permettrait de récupérer une partie de sa mise en cas d’échec (un projet de recherche interrompu, contrai- rement à un bâtiment, n’est pas un actif vendable).

Il faut souligner cependant que, pour ce type de problème, l’action de l’État sous forme de financement de R&D n’est pas nécessairement la meil- leure. Il s’agirait plutôt de construire un environnement plus propice à la prise de risque : favoriser l’émergence d’un capital risque, réduire les coûts fixes irrécupérables comme la taxe professionnelle ou les charges sociales mettre en place un droit des faillites qui permette de « rebondir » plus facile- ment, etc.

Les externalités : la R&D participe à la création d’un stock de connaissances qui diffusent dans la société (on l’a vu précédemment, car ce phénomène est au cœur des modèles de croissance endogène). Sur le plan macroéconomique, cela implique que la R&D a des externalités positives et une composante « bien public » qui fait que le taux de retour social est supé- rieur au taux de retour privé. Ceci suggère également que les investissements privés en R&D seront inférieurs à la quantité socialement nécessaire. De nombreux exemples de success stories dans l’innovation privée ont pris appui sur les épaules, souvent publiques, des recherches précédentes, pour reprendre l’expression bien connue (c’est l’effet standing on shoulders décrit plus haut).

La structure particulière des coûts de l’innovation, qui comprennent une forte composante de coûts fixes non recouvrables (sunk costs) fait que la couverture de ces coûts fixes par une agence publique peut être nécessaire pour que les décisions des agents privés présentent les caractères d’optima- lité propres à un raisonnement marginal (Cohen et Klepper, 1996).

Néanmoins, là encore, l’action de l’État doit être sélective et centrée sur les recherches les plus aptes à stimuler une innovation cumulative (recherche fondamentale générant une innovation verticale, recherches aux applications multisectorielles, etc.).

L’horizon temporel : nombre d’innovations ne trouvent d’applications qu’à un horizon de temps qui n’est pas toujours compatible avec celui des entreprises. Ce phénomène peut être renforcé par des formes de gouvernance qui mettent l’accent sur des exigences à court terme de l’actionnariat, la fameuse pression du RoE (Return on Equity, rentabilité des fonds propres).

Des effets stratégiques :

Des objectifs relevant de politiques industrielles stratégiques peuvent justifier une intervention de l’État. Dans certains cas, cela peut l’amener à accroître les dépenses en R&D. Citons quelques raisons :

  • il y a un effet cliquet dans l’innovation, qui fait qu’un retard est difficile à Un raisonnement en valeur d’option peut ainsi amener à conclure que le niveau optimal de R&D est supérieur au niveau produit par le marché et légitimer une intervention publique ;
  • la R&D publique peut avoir un rôle de catalyseur pour attirer de la R&D privée, en particulier étrangère. Dans les enquêtes sur leur décision de localisation, les entreprises multinationales citent, parmi leurs dix premières réponses, la qualité du personnel de recherche (liée à l’éducation supérieure, mais aussi à l’existence de laboratoires publics), et l’accès à un stock de recherche publique (Kumar, 2001) ;

la R&D est un élément de stratégie dans un cadre de concurrence imparfaite. Par exemple, une subvention à la R&D publique peut donner à  une entreprise nationale (en situation de monopole local) la valeur d’engagement modifiant la structure du jeu, obligeant ses concurrents à réagir à ses décisions (en suiveur). Ce mécanisme peut permettre des gains de bien-être national au détriment des pays concurrents (Brander et Spencer, 1983). Notons néanmoins que la littérature à ce sujet reste surtout théorique et peu convaincante sur le plan empirique. Les résultats sont sensibles à la structure de la concurrence et de l’information. Ils ne permettent pas de recommandations générales quant à la politique publique(1).

Soulignons ici que ces politiques stratégiques ne sont pas une garantie de succès : l’État n’est pas toujours le plus éclairé des stratèges industriels. En outre, à moins de vouloir attirer par des politiques de R&D des centres de recherche d’autres pays européens – et la théorie montre que ces phénomènes à la Brander et Spencer en jeux répétés sont collectivement coûteux – ces politiques devraient être menées au niveau européen.

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