Benoit. H
Sommaire
- La planète économie a les yeux braqués sur Eswar Prasad, il a déroulé le tapis rouge à Davos d’été avec une conférence étincelante sur l’argent du futur le 28 juin. Cet économiste en vogue qui donne ses cours à l’université de Cornell aux Etats-Unis, est une véritable boussole dans l’univers des monnaies numériques.
- Avec un coup de projecteur intense sur les monnaies numériques de banques centrales, il n’est pas avare de superlatifs : des outils « merveilleux » n’ont jamais ornés sa bouche avec autant de conviction. Cependant, nageant dans une marée de réalisme, il pointe leur potentielle double face: « Une passerelle vers un monde meilleur ou le précurseur d’un futur quelque peu ténébreux ».
- Alors qu’Internet a l’art de broder à partir du réel, il n’a pas perdu de temps pour broder quelques galons sur ses propos et un livre blanc sur ces nouvelles monnaies et les propulser hors de leur contexte d’origine.
Rien de tel que les sommets et paillettes pour allumer l’imagination des gens, surtout quand les monnaies dématérialisées entrent en scène, faisant monter la température d’un cran supplémentaire. Tianjin, en Chine, s’est transformé en ruche bourdonnante où environ 1.500 as de l’entreprise, têtes couronnées de gouvernement, cerveaux universitaires et dirigeants de la société civile se sont réunis du 27 au 29 juin. C’était pour la 14e édition annuelle des nouveaux champions, orchestrée par le chef d’orchestre connu sous le nom de Forum économique mondial (ou, pour ceux qui aiment les anglicismes, World Economic Forum, WEF). Pour ajouter une petite touche savoureuse, cette rencontre était saupoudrée du thème de l’entrepreneuriat, tel un gâteau bien garni.
Un compte Twitter, joueur de flûte pour contenus complotistes, a agité le mouchoir de la contestation avec un tweet qui a pris feu, partagé plus de 2.800 fois. Ce dernier a fait grincer des dents le Forum économique mondial, en suggérant que l’organisation aurait « enjoint les pays occidentaux à plier bagage sur les espèces et accueillir à bras ouverts un système de crédit social à la chinoise » lors de cet événement. De quoi donner des sueurs froides aux plus sceptiques qui voient en cette supposée demande une manoeuvre « dans un climat de méfiance public grandissant et généralisée vis-à-vis de l’agenda mondialiste ».
Pour donner du poids à ces propos, le tweet renvoie à un article d’un blog allemand. C’est là que les interprétations vont bon train sur une conférence de notre économiste vedette sur l’argent du futur et un rapport du WEF sur les monnaies numériques de banques centrales. Le tout assaisonné d’un zeste de conclusions audacieuses qui, pourtant, ne se trouvent nul part dans le texte original.
Une nouvelle forme de monnaie
Ces nouvelles monnaies en sont à leur balbutiement, leur développement ne fait pas l’unanimité et doit encore convaincre de leur utilité. La Banque de France a, dans un document PDF, détaillé le fonctionnement. Cette nouvelle forme de monnaie est émise par une banque centrale, sous un format dématérialisé. Elle viendrait en option de paiement, en complément des espèces.
Plusieurs banques centrales étudient la possibilité d’en émettre, dont la Banque centrale européenne. La Commission européenne souhaite développer un euro numérique, version dématérialisée de la monnaie unique. Le 28 juin, elle a présenté un cadre législatif pour ce projet, qui suscite l’hostilité des banques. Cet euro numérique pourra être stocké sur une carte ou un téléphone mobile, permettra des paiements en ligne, mais aussi des paiements sans aucune connexion Internet qui préserveront autant l’anonymat que des pièces et billets.
Du mythe à la réalité: Fantasmes du Complot Autour des Monnaies Numériques
Ah, le formidable mystère qui entoure les nouvelles monnaies numériques! Un champ fertile pour rumeurs, mythes et, vous l’avez deviné, un bel éventail de fantasmes complotistes en tout genre. Prenons juste pour exemple un article publié sur un site de blog allemand, appelé, disons-le tout de go, “la vérité triomphe”. Un vrai polar à suspense.
Et le rebondissement de l’intrigue? La monnaie numérique en tant qu’instrument de contrôle total des banques centrales et des gouvernements sur nos fragiles existences financières. Un tour de force, avancé sans aucune preuve ni indice, qui titillerait même le plus blasé des détectives. Mais ne nous laissons pas emporter par le drame, examinons les faits.
Pour défendre cette hypothèse, l’article cite une phrase de la page 15 d’un livre blanc, qui se focalise sur la progression des sociétés sans numéraire. “Se concentrer sur la réduction de l’utilisation des espèces, promouvoir les paiements numériques et améliorer la littératie financière pour stimuler la croissance économique, tout en prenant en compte les préoccupations en matière de confidentialité.” Surprenant, non? Mais laissons la suspense monter.
Cette citation, décontextualisée, se réfère en réalité à une des priorités de la région Asie-Pacifique pour développer leurs propres monnaies numériques de banques centrales. Ça change un peu la donne, non? Mais attendez, l’intrigue se complique: ces priorités ne sont pas du tout alignées avec celles de l’Europe ou de l’Amérique du Nord. Un détail qui met une belle entaille dans la théorie du complot. Et pour couronner le tout, nulle part il n’est écrit qu’il s’agit d’une guerre contre les espèces.
Et voilà, le mythe s’effondre plus vite qu’un château de cartes pris dans un ouragan. Alors, avant de sauter aux conclusions et de déclarer toutes les nouvelles monnaies numériques comme les outils de notre asservissement financier, reprenons notre souffle et regardons les faits. Vous serez surpris de ce que vous pourrez découvrir.
Un cri d’alarme sur des périls en sourdine
Accrochez-vous à vos chapeaux mesdames et messieurs, car c’est le discours de notre bonhomme du jour, Eswar Prasad, une vraie célébrité du monde économique outre-Atlantique, qui a secoué l’arène. Prof à l’université de Cornell et as des cryptos, ce mec a tellement fait trembler les murs qu’on a perdu le fil de son raisonnement. Le 28 juin, il a été pris en photo pendant qu’il débitait sa science sur l’oseille de demain devant une salle comble au Forum économique mondial – si ça vous dit, la vidéo est toujours sur YouTube.
Un zeste de son discours a fait le tour de la planète Twitter, et a été liké, partagé et retweeté comme des petits pains (allez voir à partir d’envion 32 minutes). Eswar Prasad s’est fendu d’un commentaire plus qu’élogieux sur les monnaies numériques des banques centrales – dont il est un fervent supporter, faut-il le dire – qu’il a qualifié de “merveilleuses”. Quoi qu’il en soit, elles ont le pouvoir, ajoute-t-il, de “nous propulser vers un monde meilleur, ou de nous précipiter dans un futur aussi sombre que la nuit”. Allez, on ne perd pas espoir, hein ?
Une nouvelle monnaie qui pourrait être programmée
Il développe ainsi son argumentation : « d’énormes avantages » peuvent être associés aux monnaies numériques de banques centrales comme la « programmabilité ». Les unités de monnaie des banques centrales pourraient permettre aux gouvernements de « décider que ces unités sont utilisées pour acheter certaines choses, mais pas d’autres qu’ils jugent moins souhaitables, comme des munitions, de la drogue, de la pornographie », etc.
Mais, alerte-t-il, « si vous avez des unités de monnaies de banque centrale avec des caractéristiques différentes, ou si vous utilisez la monnaie de banque centrale comme un canal pour mener des politiques économiques de manière très ciblée, ou plus largement pour les politiques sociales, cela pourrait vraiment affecter l’intégrité de la monnaie de banque centrale et l’intégrité et l’indépendance des banques centrales ».
Son discours est donc une alerte sur des risques potentiels, mais pas du tout une exhortation du Forum économique mondial à supprimer l’argent liquide pour instaurer un crédit social à la chinoise.
